Réforme université
LES DOSSIERS / La loi relative aux
libertés et responsabilités des universités (LRU)
Intervention
de Jean-Marie Harribey faite le 4 février, à la demande des étudiants de l'Université Bordeaux
IV, en introduction à leur assemble générale.
La loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) du 10
août 2007 se décline en deux aspects principaux :
- La gouvernance des universités : les
pouvoirs des présidents d'université sont accrus en termes de droit de veto au
recrutement des fonctionnaires, de liberté d'embauche sous contrat (CDI, CDD)
et de répartition des services d'enseignement.
- L'autonomie de gestion : elle signifie la
possibilité de financements privés qui viendront se substituer aux financements
publics en régression, et aussi l'augmentation des droits de scolarité payés
par les étudiants.
L'augmentation des droits n'est pas inscrite dans la loi
mais nous sommes au début d'un processus qui y conduira. Le risque pour nos
universités est de ressembler un jour aux universités américaines dans
lesquelles les droits d'inscription s'élèvent à plusieurs milliers de dollars.
Les conséquences de cette loi seront :
- Pour les établissements universitaires : concurrence accrue avec
l'amenuisement progressif du caractère national des diplômes, déjà amorcé avec
la réforme LMD dans le cadre européen.
- Pour les personnels : ils seront confrontés aux joies du management
moderne basé sur le "mérite", dont on ne sait sur quels critères il
sera jugé. D'où le caractère absurde de la "modulation" des services
d'enseignement considérés comme une punition, une sanction. Il est important à
ce sujet de ne pas séparer la critique de la LRU et celle de son décret
d'application, car la loi pose des principes dont le décret se charge
d'organiser la mise en oeuvre.
- Pour les étudiants : les inégalités entre universités déboucheront sur
une discrimination sociale entre étudiants. De plus, il y a un risque de perte
du pluralisme de l'enseignement, particulièrement en sciences sociales. Nous en
savons quelque chose en économie.
Cette LRU doit être replacée dans son contexte. L'arrière-plan est le
suivant :
- Il y a un processus européen et mondial de mise en concurrence et de
marchandisation de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ainsi, l'Accord
général sur le commerce des services (AGCS) au sein de l'Organisation mondiale
du commerce (OMC) prévoit d'intégrer dans le périmètre du marché et de la
concurrence les services d'enseignement. En Europe, le Processus de Bologne
(1999) et la Stratégie de Lisbonne (2000) visent à rendre
"compétitifs" les services d'enseignement.
- En France, les grands organisme de recherche, dont le principal, le CNRS,
sont démantelés. L'Agence nationale de la recherche (ANR, 2005) et l'Agence de
l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) visent à
promouvoir des projets de recherche en fonction de leur pertinence économique
pour les entreprises. A ce compte-là, que restera-t-il de la recherche
fondamentale ? Le physicien Albert Fert, prix Nobel 2007, a déclaré
que si une telle loi avait existé, jamais il n'aurait pu découvrir ce qu'il a
découvert.
Pour la seule année 2009, le gouvernement prévoit de
supprimer 1030 postes dans l'enseignement supérieur et la recherche. Il a beau
affirmer qu'il augmente les crédits pour investir, à quoi serviront les
équipements si les enseignants-chercheurs en sont exclus ?
- Tout cela fait sens avec la remise en cause méthodique du système éducatif
public, de la maternelle, à l'école primaire, au collège, au lycée, jusqu'à
l'université, en passant par la suppression des IUFM et le démantèlement des
concours d'enseignants. Cela fait sens aussi avec le démantèlement de tous les
services publics au nom de la concurrence libre et non faussée, chère à
l'Europe néolibérale : énergie, transports, poste, hôpitaux, etc. Le désengagement
de l'Etat est partout le même et produit ses effets délétères.
En tant qu'étudiants de droit, de sciences économiques ou d'AES, vous pouvez
comprendre les liens qui existent entre toutes ces dégradations de l'espace
public et la crise économique majeure que le capitalisme mondial traverse. Car
la dégradation des services publics est l'un des visages de la dégradation de
la condition salariale dans le monde : salaires déconnectés de l'évolution de
la richesse produite et explosion des dividendes qui ont nourri la
financiarisation, laquelle a dégénéré en crise.
Bref, le mode d'accumulation et le mode de régulation qui se sont imposés sont
insoutenables à long terme. Et cela d'autant que l'hypothèque qui est mise sur
la recherche et l'enseignement supérieur est vouée à nous exploser à la figure,
comme les subprimes, parce que dévaloriser la recherche et l'enseignement,
c'est mettre un trait sur l'avenir, c'est-à-dire le vôtre.
.
.
.